Tuesday, March 01, 2005

1. TENTOONSTELLING GALERIE CAMPO (ANTWERPEN)

VERNISSAGE GALERIE CAMPO: JOAQUIN, DE LEGER, BERT,
LARGOT, RADEMAKERS, KOELMAN, VAN DE VELDE, CLAUS

DE LA LUMIÈRE AU NUMINEUX
"Aux instants mêmes qui semblent les plus critiques, au yeux du public, en ce qui concerne une existence consciente et ordonnée de l'art, l'art se trouve justement prêt à répondre au doute avec une pertinence accrue. C'est que dans l'ombre: en marge des préférences usuelles et de la production vulgarisée, un nouvel "ordre" s'organise, un nouvel essor est prêt à se manifester.
La nécessité de ne pas perdre de vue le respect d'un ordre permanent, règlant les véritables fins de l'art ne peut jamais être occultée, en effet, au delà de certaines limites. Le besoin de discipline fait sentir sa volonté d'excellence qui conduit, à nouveau, les modalités de l'art vers leur pôle d'attraction le plus inspiré.

Une partie de la peinture est en voie de rendre actuelle ses plus anciennes exigeances, en dépit de l'absence apparente de tout symbolisme révélateur. Cet art entend ne rien perdre de ses facultés d'inspiration et renoue, en marge des critères de la mode et des impératifs sociaux d'un caractère immédiat, avec des voies traditionnelles. Cette peinture ne veut rien d'autre, en l'occurence, qu'une reprise de contact avec sa principale raison d'être qui est jonction de l'humain avec l'univers.On peut affirmer, dès à présent, qu'un tel art existe. Cet art aboutit à son but ultime et sert d'articulation (ou synapse) entre l'homme de la fonction temporelle (physique et mentale) et celui de sa maturité absolue ou de reconversion au plan de la conscience totale.

La peinture de ces derniers temps, à la suite des moyens employés: matériaux hétérogènes et techniques anticonventionnelles débouche le plus souvent sur une exaspération tactile qui fait surtout appel au plaisir immédiat de la vue comme au besoin de possession susscité par tout objet capable de contribuer à l'euphorie sensorielle. Mais, l'art du même coup s'apparente, sans s'en douter, à l'objet commercial.
C'est la vieille plainte de Pétrone dans le Satiricon (88). On ne reviendra guère la-dessus. L'art n'en sert pas moins de tranquillisant, à la manière de ces capsules roses et vertes que des entreprises de persuasion psychologique mettent en avant pour combler les lacunes d'un confort physique, assimilé au bonheur de l'être. Une partie de l'art est ainsi devenue de dégustation au même titre que l'art décoratif, la publicité teintée d'esthétisme et, à défaut d'artisanat, le dessin industriel. Beaucoup sont égarés, à ce compte, sur le fait de l'art et sur sa nature véritable. L'art, tout éclairé qu'il est par le rayon factice des injonctions de la mode, ne peut plus être l'objet que d'adhésions transitoires; il est à chaque fois dépassé par la nouveauté avec une vitesse accrue. C'est là tout le danger d'un goût trop prononcé pour le "Modernisme" à outrance. Or, le véritable sentiment poétique ne doit jamais être émoussé ni courir le danger d'une erreur d'appréciation. Le cri de Klingsohr reste valable: "Die Poesie will vorzüglich als strenge Kunst getrieben werden. Als blosser Genuss hört sie auf, Poesie zu sein." (Novalis).

Il fut un temps où la peinture employait le fond d'or. C'était une solution habile, par excellence. Cette recette, pour efficace qu'elle fut, est en mesure d'être largement dépassée aujourd'hui. L'homme et son univers immédiat d'alors (costumes hiérarchisés, attributs "parlants", symboles d'un ultra-monde, mythologies et légendes, cosmogonies et métamorphoses) apparaissent avec l'acuité de la photographie, dans leur soif de pérennité. Tout alentour de l'homme ne baignait pas moins dans la mystère, dans l'inconcevable et pour suggérer l'inexprimable, le fond d'or fut inventé. le fond d'or s'étalait au delà de tout ce qui n'était pas strictement l'homme ou sous sa dépendance. Ce dernier baignait littéralement dans un espace-or: cet espace qui portait en lui tout le pouvoir mirifique d'une dimension intuitive du para-sensible.Le fond d'or offrait, par conséquent, l'expression d'un symbolisme en soi autorisant la reconduction à un chiffre et qu'alors on nommait le sacré.

La Renaissance a tout changé. Elle a renoncé à considérer traditionnellement la "lumière-pensée" comme une hypothèse plausible et la lumière tout court comme une émanation, mais, selon les idées nouvelles à la vouloir indépendante au même titre que toute autre réalité scientifique. la Lumière devait désormais être mesurable dans les mêmes termes que les autres corps naturels. On revenait à la solution de "représentation": solution dangereuse entre toutes.

La découverte faite par la Renaissance (découverte qui fut aussi celle de la peinture "impressioniste" greco-romaine) connaît toujours parmi nous une fortune considérable. Or, il ne doit plus s'agir de prolonger encore la notion sue la lumière: simple phénomène sensoriel, existe indépendamment du monde. la peinture n'a que trop pris en considération un aspect fragmentaire de la réalité. Il ne saurait plus être question de chercher à mesurer la lumière: la lumière qu'il est nécessaire de retrouver par un autre biais. Il est apparu urgent, pour certains peintres, de pénétrer, en effet, la nature profonde de la lumière dont la lumière matérielle n'est qu'un visage et de la reconduire à son chiffre.("Deine irdische Gestalt ist nur ein Schatten dieses Bildes." dit encore Novalis). la peinture meurt de la nostalgie de cette lumière dont elle éprouve la présence. Mais, alors, dans quelle dimension la trouver? Serait-ce dans la conviction de ce que cette lumière a de commun, en sa structure essentielle, avec la structure essentielle de l'humain... de son Imagination créatrice?

On parle beaucoup “d’imagination créatrice”. C’est là une expression qui semble imposer son usage depuis que le mot "inspiration" est devenu suranné. Il ne faut pourtant pas oublier que cette locution a un sens déterminé et très éloigné de celui qui lui est actuellement donné. Le sens vrai est issu du Soufisme persan, en opposition à la philosophie aristotélicienne d’Averroès, dans une intention précise, (complètement occultée aujourd’hui) et dans son rapport étroit avec l’exercice de la "Théosophia" islamique.

L’homme n’est plus considéré comme étant le centre de l’univers. Il n’est plus qu’un étalon parmi d’autres étalons. Les croyances de la Renaissance (Manetti, Brunelleschi, Alberti) n’ont plus de valeur. La peinture ne doit plus avoir pour ambition de peindre des corps libres dans l’espace tridimensionnel ni de les envisager dans leurs rapports avec les volumes de leur cadre sensible. Le problème consiste désormais à suggérer plastiquement la nature en se basant sur les structures essentielles de tous ses éléments, considérés en tant que symboles apparents. Il faut surtout traduire les relations dynamiques qui les rapprochent et les unissent enfin, c'est-à-dire par leur identité absolue avec le monde énergétique dont les apparences formelles et différenciées ne servent que de support illusoire et transitif. Une telle peinture prendra indifféremment la voie de la figuration ou de la non-figuration. La question importe peu.

Il n’est donc plus indispensable de voir une "difficulté" à concilier la vision linéaire et la vision colorée des choses grâce au truchement fictif de la lumière du jour. Existe-t-il une ligne de démarcation quelconque entre la lumière et l’ombre, entre le jour et la nuit ? Une telle difficulté n’a paru insurmontable qu’à ceux qui l’ont voulue ; elle doit être éliminée. Le clair-obscur du Caravage n’était qu’une astuce : un "truc d’atelier". Rembrandt pressentit, à lui seul (en dépit de ce qu’il devait à la méthode caravagesque) qu’au sein de la lumière, il y avait moins de lutte et d’opposition qu’il n’y avait d’harmonie en son principe. La lumière signait la source, pour lui véritable, de toutes choses et lui donna la réponse au faux dilemme. Là réside le secret de la lumière psychologique de Rembrandt! Si plus tard, les impressionnistes accordèrent à la lumière une puissance accrue, ils ne firent que donner cependant plus de poids à l’un des facteurs matériels en cause. Il fallait encore qu’un sujet fut mis à la torture pour exalter la flamme dont elle était éclairée… du dehors. Aussi la tactique nouvelle n’en laissait pas moins
la lumière à sa condition simple "agent extérieur" selon les termes mêmes du Cinquecento.

Oui, la difficulté doit être éliminée. La "Coincidentia" oppositorum» doit être atteinte. Mais, il est plus pour notre surprise. Un art existe et se développe aujourd’hui qui touche à l’exacte point harmonique établi à équidistance de deux pôles d’attraction : pôles d’antinomie factice que propose la loi trompeuse des contraires tout en se résolvant dans un effort de synthèse, au niveau des Archétypes.

Les arts plastiques nous ont conviés depuis la Renaissance –depuis la renaissance seulement- à la suprématie des apparences formelles. C’est un cas unique dans l’histoire de l’art. On a voulu voir là le signe certain d’une libération définitive de l’humain et c’est vrai dire cette libération que l’on a appelée Humanisme.La connaissance des Anciens, par symboles et par signes exprimant si justement ce qui reste encore à apprendre lorsque plus rien ne peut être dit ou écrit, a été remplacée par l’unique ressource de l’observation de la nature. C’était une manœuvre simpliste;elle condamne la peinture à l’étroite prison de résultats purement "esthétiques" et qui font qu’une fois de plus, Platon interdirait l’accès de sa République à tout poète ou musicien, à tout sculpteur, à tout peintre dont l’art, échappant à la notion de l’Absolu, ne s’élèverait pas au delà du métier de fabricant de "simulacres" . Platon n’a pas seul affronté la responsabilité d’une telle mesure. On ne trouve guère d’art qui ne soit exprimé autrement que selon ce vœu, à travers les diverses civilisations.
L’exemple le plus frappant reste celui de l’Islam qui n’a pas hésité devant une position de la plus grande rigueur. L’art musulman est, à cet égard, strictement platonicien. Les exceptions que l’on trouve s’adressaient à un cercle restreint de "connaisseurs" pour ne pas dire "d’initiés" et n’ont jamais été connues de la massa qui n’y aurait jamais trouvé qu’une apologie "figurative" du monde matériel.
(Songeons que la miniature turque est restée secrète et cachée jusqu’en 1953 et l’est encore pour la plus grande part!) L’Occident s’est, par contre, éloigné graduellement et avec une obstination toujours plus radicale, de lois qui ne toléraient l’image que dans la stricte mesure où elle constituait un symbole intellectuel de plus et rien d’autre.

L’esprit d’analyse morphologique a ainsi succédé au savoir par le canal du rationalisme dialectique. La nouveauté a été recherchée à tous prix. Une œuvre est désormais reconnue comme étant "originale" et par conséquent, à nos yeux, plus valable qu’une autre, à condition de devoir le moins possible à un devancier quelconque. "Originalité" a pris le sens courant de création nouvelle. Mais, pour nous complaire, ne faussons-nous pas jusqu’au sens des mots? Original ne signifie-t-il pas, équivalent à ce qui était à l’origine?Or, il est apparu indispensable à quelques peintres d’aujourd’hui de renouer avec cet esprit des origines et de renoncer à la recherche anxieuse de la "Modernité" à outrance!

Il est entendu que la tradition originale nie l’opposition scolastique de l’homme et du monde. Cette opposition a engagé la pensée occidentale dans une déviation qui a pris racine depuis des siècles et s’étale jusqu’à nos jours. Il est curieux de constater que c’est à la science, dite pure, que revient le privilège de s’apercevoir à quel point toutes nos notions actuelles doivent être remises en cause et que notre certitude des faits n’en est pas une, en fait. L’Homme est dans le monde et non en marge de celui-ci. Le monde, de plus, est dans l’homme. On ne peut comprendre (ni peindre) l’essence de l’un sans tenir compte des mobiles sous-jacents de l’autre. Ce qui a paru constituer, un moment, des conflits d’extrêmes n’étaient, en réalité, que des différences par oppositions formelles: sensorielles, mentales.
C’est à ces caractéristiques que la peinture (et tout de qui touche au réalisme) s’est longtemps tenue en niant l’essence commune, identique des termes en présence. Il faut un retour au mythe par opposition aux disciplines purement expérimentales et d’autant plus que ces dernières, comme il vient de l’être rappelé, s’interrogent au terme de leurs entreprises. Il faut un retour à la révitalisation d’un ordre essentiel que le Moyen-Age affirmait encore d’une certaine manière, mais que notre époque libérée de toute coloration d’emprunt est en mesure de faire revivre en son principe même. Si ce tournant n’a pas lieu, ce qui nous semble improbable, notre temps n’accomplira pas son œuvre ou ce sera par des voies lentes et par trop indirectes.

Il ne saurait être question d’élaborer, en art, un nouveau système de représentation du monde, de manière exclusivement formelle, mais de percevoir à nouveau la Réalité pure et simple de ce même monde et de l’adapter au langage du siècle, c'est-à-dire selon une traduction plastique qui soit de notre entendement.Il n’y a pas de doute que cette traduction se fera. L’échéance de maturité se situera à plus ou moins long terme. C’est là, l’affaire de l’art dont nous ne pouvons qu’enregistrer les mystérieux cheminements tout comme nous pouvons faire graduellement connaissance avec les efforts accomplis et tels que nous les fait connaître le groupe "Lumière et Numineux" qui expose aujourd’hui. La peinture doit être aussi une manifestation (figurative ou non) de la Connaissance de soi et faire preuve, dans son enseignement, d’une pénétration synthétique… Victoriale de cette même Connaissance.

Qu’est-ce Victorial ? Victorial est, ni plus ni moins, l'équivalent de toute concentration opérée au point de jonction de deux lignes : notion euclidienne par excellence. L’art victorial naît au point de rencontre des courants hiérophaniques se heurtant d’abord et se fondant ensuite aux courants adverses de l’hypostasie.
Là est situé l’art victorial et nulle part ailleurs. Est victorial, l’espace compris entre le doigt de Dieu et celui d’Adam, dans le thème de la "Création" au plafond de la Sixtine; toute la composition irradie, en effet, à partir de cette zone d’énergie concentrée. Est victorial aussi l’espace architectural et mathématiquement sacré, occupé par le volume du Parthénon. D’autres exemples abondent.

L’Humanisme a voulu qu’à ses enchantements, le corps de l’homme fut la seule mesure de l’Univers. Ce corps est certes une mesure du monde si l’on s’en tient aux évidences d’une perspective sensorielle. Ne peut-on admettre que l’homme soit tout aussi bien une mesure para-sensible de l’Univers cosmique ? Dans l’affirmative, l’Humanisme tel que nous l’entendons, aura atteint son terme. Il faut alors renoncer à cet Humanisme de caractère métrique.

KARI BERT

Le groupe "Lumière et Numineux" ouvre une voie de recherches qui relèvent d’une réalité supra-sensible… intérieure et cela, sans doute, à des titres divers et selon la mesure de chacun.Les membres de ce groupe n’ont pas cessé d’entretenir d’étroits contacts entre eux, depuis sept ans. Ils en sont arrivés à vouloir manifester, maintenant, leur communauté de conceptions et organiser une confrontation de leurs œuvres. Les antécédants de ce groupe remontent aux premières expositions d’Anvers et de Bruges en 1962.C’était alors l’Association des "Onderaards" qui exposa ensuite à Bruxelles et de nouveau à Anvers, en 1963. C’était aussi les débuts d’une période épique et dure de quelques peintres encore très jeunes, à l’époque. Le mûrissement de la plupart d’entre eux s’est affirmé depuis chez les pionniers de ce premier mouvement avec Serge Largot, en tête, qui assuma la cohésion de cet embryon d’école et qui n’a cessé de le défendre à travers ses successives mutations. Serge Largot dirige de même aujourd’hui, la cohésion du nouveau groupement qui compte neuf autres peintres: Franz Joaquin, Mark Claus, Marcel de Man, Wim Van de Velde, Marcel Rademakers : tous les six d’Anvers, Kari Bert et Gilberte De Leger, d’Ostende et, enfin D. Dadérian, peintre de Beirut qui vit à Paris ainsi que Ben Koelman, de La Haye, formant ensemble un groupe de dix.

Tous ces artistes ont conjugués leurs efforts au point de permettre la désignation de "Groupe" tant ils forment, pour l’instant, un ensemble homogène et quasi communautaire.Les résultats plastiques et picturaux obtenus, grâce au travail de ce groupe, sont menés au plus loin dans le sens de la volonté de couleurs irradiantes, presque phosphorescentes. On constate, dans leurs œuvres, cet emploi décidé des couleurs,en application minutieuse de la théorie des lois du contraste simultané (Chevreuil).

Les peintres du groupe se sont trouvé une parenté avec l’œuvre du gantois Philippe Morel (1897-1965). La peinture de ce dernier trahit toute l’angoisse qu’il éprouva devant le mystère de la forme. Il la déchira jusqu’à ses plus intimes textures, il en réduisit la réalité à son essence en vue de la reconstruire par l’esprit et grâce a une suite de tentatives, parmi les plus obstinées qui soient, vers la véritable nature de cette forme qui n’est, en fin de compte et pour lui, que lumineuse immatérialité. Ce devancier semblait pressentir comme une solution idéale que les peintres du groupe actuel réalisent, enfin, avec une assurance complète.

L'identité d'intérêts plastiques et coloristiques a conduit tous ces peintres à des similitudes de vision si proches les unes des autres que l'on serait en droit de croire, parfois, à des influences directes et même à des transpositions. Il est possible de réprondre à cette impression que par le passé aussi, l'identité des techniques, la volonté d'une expression commune et l'uniformité des convictions de principe formaient à ce point le fonds commun auquel les Écoles étaient nourries (comme c'est le cas pour l'art de toutes les civilisations) que de L'École de Sienne à celles de Venise ou d'Anvers, à l'École de Paris, la peinture a donné des productions si parfaitement apparentées qu'il est malaisé de distinguer une main, un atelier même de l'autre. La notion de personnalité, exaltée comme elle l'est aujourd'hui, n'existait pas alors.
C'est ainsi que les peintres du Groupe n'attachent pas d'importance manifeste à vouloir à tous prix se distinguer entre eux. Leurs caractères fonciers n'en sont pas moins respectés, comme on le constate, de sorte qu'il n'est pas difficile de départager leurs oeuvres, dès le premier moment d'attention. Certains peintres du Groupe iraient jusqu'à ne pas signer leurs toiles. Ils estiment suffisant d'avoir exécuté des oeuvres qui sont en tous points le reflet de leurs convictions et de leurs volontés personelles. Le partage de ce qu'ils acquièrent (tout comme dans les anciens "Ateliers" guidés par le savoir d'un maître: Verrochio-Vinci, par exemple) ne les gêne pas. A notre époque où le culte de la personnalité et de ses moindres innovations a étouffé tout artisanat et a conduit à la suppression des écoles, alors que chaque individu se hausse, dans un effort toujours plus tendu, vers une intense convergence de l'ego menacé par la culture de masse, l'actuelle attitude du Groupe "Lumière et Numineux" peut, cependant, paraître anachronique et même une gageure.

A titre d'illustration, enfin, une petite aquarelle (non-figurative) turque, et anonyme de la fin du XIXè siècle, trouve sa place dans le cadre de l'actuelle exposition. Tout dans cette oeuvre d'intense méditation convainc de cette tradition dont nous avons fait mention ici même: anonymat de la peinture, non-figuration qui tend à l'essence d'une vision orientale. L'Univers dont l'homme fait partie intégrante est compris comme un Archétype d'espace-couleurs-lumière et prend les apparences d'un "Mandala" dont un Jung s'émerveillerait. La concordance est parfaite entre le monde et l'artiste non soumis à la relation spatio-temporelle, mais à ce qu'en perçoit, par affinité singulière, sa propre intériorité. le rapprochement a paru ainsi probant et le sera de même pour quiconque y prêtera attention!

Si un certain art contemporain connaît le succès, le fait est dû à deux facteurs principaux. La soif de changement (et par opposition, l'image de l'aquarelle turque reste dans notre souvenir avec tout ce qu'elle comporte de soumission à une tradition éprouvée, remontant à "l'originalité" des origines) la nostalgie de la nouveauté n'influence pas seulement les modèles de carrosseries d'automobiles et des autres appareils à usage domestique, mais aussi l'art. Notre art en arrive à être considéré finalement comme faisant partie intégrante du mobilier et de la décoration. La crainte dont il a été parlé de n'être jamais assez "Moderniste" par rapport à un vaste public réactionnaire depuis un siècle et demi, a provoqué une disposition favorable à l'accueil agité des moindres aspects des plus récentes trouvailles. La nature de l'art est, dès lors, mise en danger de désorientation.

Les peintres du groupe "Lumière et Numineux" retrouvent cependant et comme par opposition, des recettes éprouvées souvent oubliées, pour les recomposer avec patience et à défaut d'un enseignement valable en cette matière. Ils s'efforcent de reconquérir une prédominance technique et de contribuer, grâce au rôle de
l'imagination créatrice, à une oeuvre de pérennité afin qu'elle cesse de n'être que le jouet d'un jour.

En ce qui concerne les membres du Groupe, une question importante et qui requiert leur meilleure attention est, en effet, la recherche de la probité technique: depuis la préparation du support jusqu'a la qualité des peintures employées et leurs réactions chimiques. L'intérêt majeur est de reconsidérer ensuite les propriétés de la lumière non seulement dans sa nature physique, mais bien dans sa fonction transcendentale.

Il s'agit de convier le spectateur à une participation effective de ce que la peinture suggère. Il s'agit de reconduire le spectateur à déchiffrer, enfin, un art qui se veut le révélateur d'une expérience chaque fois personnelle. la lumière est donc considérée, selon cette optique, comme agent de transmission consciente, par excelence et sert de "pont" entre l'artiste et son audience. La lumièreainsi conçue à son niveau archétype devient, à son tour, agent de création. Elle apparaît porteuse d'une réalité parasensible et qui ne fait plus appel qu'à la pensée intuitive (faculté d'intuition). Cette peinture est encore le terme conciliant où se rejoignent pour se séparer toujours à nouveau, le Noumène et les phénomènes. Le mouvement de divergence et de convergence est éternel. C'est le privilège de l'art d'en saisir parfois le mécanisme, chaque fois que cet art s'entend à en reproduire l'équilibre. Il y aurait donc, en ce qui concerne le phénomène lumineux, un thème de coagulation immanente. Le monde sensible serait un effet de cette coagulation. L'oeuvre picturale, parfaitement adaptée, devrait être l'aboutissement d'un effort de dé-coagulation. Il est sans doute nécessaire de démontrer le problème à rebours. Ce qui revient, idéalement, en peinture, à "reconstituer" l'évolution coagulatrice afin de suggérer au spectateur d'opérer, à son tour, le processus de dé-coagulation.

Il n'existe pas d'antinomie de principe entre les deux démarches. Si l'oeil distingie sensoriellement la matière coagulée, il n'y a plus qu'a inverser la proposition et remonter les degrès de son échelle pour obtenir la perception de son complémentaire lumineux.

UITNODIGING VOOR DE TENTOONSTELLING GALERIE CAMPO

Marc Claus, Wim Van de Velde et Gilberte De Leger sont de peintres figuratifs. Serge Largot, Frans Joaquin, Marcel Rademakers, Kari Bert et Marcel De Man le sont aussi dans une certaine mesure. Les notions de figuration et de non-figuration ne valent, pas ici en tant que manifestations distinctes. Ce n'est plus la présence ou l'absence de sujet qui importe. L'expression plastique de la lumière originelle compte seule et non la forme dont elle est issue ou la forme vers quoi elle est susceptible de se recomposer, sous l'action de l'imagination créatrice. La lumière traquée jusque dans ses composantes les plus secrètes a vue ses molécules disloquées puis, les unes se fondantt aux autres, reconstruites pour aboutir, par coagulations successives, à un sujet identifiable ou non, mais qui reste sujet. Il y a des identifications possibles chez Serge Largot, par exemple, au niveau justement de l' Imagination créatrice. Le peintre et son modèle forment, dès lors, une complète union de deux agents énergétiques d'égale intensité. Et s'il n'y a pas de modèle, pourquoi la peinture n'aboutirait-elle pas à en créer un? C'est la concordance d'une recherche qui s'avance vers la découverte de soi et d'un mouvement qui vient à sa rencontre. C'est auusi la concordance de leur entendement réciproque qui donne, en fin de compte, l'oeuvre peinte. Cette dernière n'est plus un "simulacre" (même s'il y a figuration comme dans le cas des "Kouroi" et des "Koré") mais projection dynamique des seules intuitions de la pensée.

Nous en arrivons à un point essentiel. le Groupe "Lumière et Numineux" est parvenu à créer un nouvel espace! Ce n'est pas un espace qui inclurait quelque quatrième dimension nu même un espace-temps, mais comme au delà de l'espace psychologique, un véritable Espace-conscience. Cet espace relève de la géometrie interne de chacun et du monde considéré comme non distinct de l'homme. Le "Tableau" devient un point dans l'espace formel, sans doute, mais encoreun point de fusion "espace-lumière-couleur": le lieu d'élection d'un phénomène parasensible, sous une forme sensible: picturale en tous points.
Seule la reconnaissance, du peintre, par l'intériorité de sa conscience, de l'intériorité universelle, a pu donner cette concordance qui sert de conclusion. La liaison de deux courants inscrits dans l'espace pictural a créé elle-même l'avènement de la nouvelle dimension ou... l'espace-conscience.

On peut reprendre à P. Francastel l'assertation suivante qui se vérifie pleinement ("Peintre et société" Paris 1965) "... lorsque'on ajoute, par exemple, à un espace mathématique une dimension, ce n'est pas l'ancien espace plus une dimension qui est crée, mais un nouvel espace dans lequel toutes les dimensions changent de valeur". Les oeuvres exposées par les peintres du groupe "Lumière et Numinueux" illustrent bien cet axiome. Dans chacune de ces oeuvres (tout en tenent compte des valeurs d'intensité voulues par chacun) grâce au rôle de la lumière admise réalité sensible et para-sensible à la fois, toutes les dimensions ont été changées par la reconnaisance de l'espace-lumière ou cet espace-conscience qui lui est parfaitement identique.

Le public saisira avec peine, au début, le langage d'une telle peinture de même que son considérable apport à l'art de notre temps et l'organisation signifée de ce nouvel espace-conscience(pourtant loin d'être si nouveau si nous songeons à la peinture chinoise) qu'il est possible de traduire plastiquement. Il reste certain que toute vision comme toute conception nouvelle (ou retrouvée) doit être formulée plastiquement avant d'être "vécue" par le public. Il suffira de deux exemples: la peinture de Jérôme Bosch dont les intentions symboliques exigent d'être chaque fois connues avant d'être comprises et l'architecture de la Renaissance iltalienne qui fut peinte avant d'avoirété construite.

Nous sommes soumis à la loi du langage convergent qui nous rassure sur notre identité et sur notre attachement à la réalité de l'être-ego. Le langage divergent nous déroute, par contre, depuis que sa conception ne s'appuie sur rien de sensible à la raison, mais sur une réalité que nous tenons à ignorer, dans la crainte d'être trop tôt arrachés à notre sort. "Les polyglottes décorés de fontaines influentes s'égorgent à travers des collections de chamois blonds." (Hubert Benoit: "Lâcher prise", Paris 1961) est une exemple que laisse sans doute perplexe et procure une inquétude irraisonnée. et pourtant, sa thématique est plus importante, plus utile pour nous que le sens convergent d'une phrase régulière comme, par exemple: L'Europe veut la Paix.

Pour ce qui est du reproche d'obscurité, peut-être se souviendra-t-on de Saint-John Perse et d'un passage de son allocution, au banquet de Nobel, de 1960, lorsque parlant de la poésie, il disait: "L'obscurité qu'on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d'éclairer, mais à la nuit même qu'elle explore; celle de l'âme elle-même et du mystère où baigne l'être humain."

Le propos essentiel des oeuvres... de l'oeuvre commune réalisée par le groupe "Lumière et Numineux" n'a d'autre objet que d'éclairer. Il est cependant entendu qu'on ne peut tout expliquer, d'où la nécessité du symbole qui se charge du reste. C'est pourquoi cette peinture a volontairement laissé à la suggestion, ce qu'elle refuse d'expliquer. Cette peinture ne saurait agir autrement car le seul geste possible est d'aider le spectateur à entendre l'enseignement que la Réalité transpose, selon l'étalage de la conscience de chacun.

L'esprit qui anime les peintres du Groupe "Lumière et Numinueux" n'est pas unique. Cet esprit a toujours existé: il est traditionnel.Il a permis aux plus jeunes de trouver des ainés sur l'oeuvre desquels il leur est possible d'appuyer. Il est significatif, en effet, qu'une communauté d'inspiration les relie à des artistes d'expérience tels que Le Moal, Seiler, Bertholle et Bazaine dont ons s'est appliqué à montrer quelques peinture, à titre de démonstration.
Bazaine a sans doute trouvé, naguère, le réconfort d'une parenté de recherches et d'ambition dans l'insigne maîtrise de Bonnard. A son tour, aujourd'hui, le Groupe voit en Bazaine un guide propre à guider ses membres et à les éclairer. L'inspiration de Bazaine, la lumière de Bazaine est semblable aux leurs. Un rapprochemnt idéal était possible. la présente confrontation sert donc, ici même, de légitime illustration à une filiation exemplaire qui est de tous les temps et de tous les espaces."

(Philippe d'Arschot, in: Lumière et numineux/ Licht en numen, inleidingen, Antwerpen, september 1967, aflevering een, p. 7-16)

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